Mon aventure avec Autighost : du burnout à la création
- Autism Ghost
- 22 févr.
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 24 févr.
Tout a commencé en février 2024, lors de mon burnout autistique. Trois mois plus tard, épuisé et en souffrance, j'ai puisé dans mes dernières forces, en partie grâce à ma mère, pour écrire un livre avec elle, comme une nouvelle rencontre entre nous. Ce projet m’a sauvé, d’une certaine manière, et a commencé à redonner du sens à mon parcours. Puis, en septembre, alors que je devais reprendre mon poste d’éducateur en octobre, j’ai été licencié. Une claque. Mais aussi une opportunité. J’ai décidé de poursuivre cette recherche de sens en créant le projet Autighost, d’abord sous la forme d’une chaîne YouTube.
Plongée express dans Blender : de l’inconnu à une maîtrise relative
En novembre 2024, j’ai visionné, pendant une semaine, des dizaines de vidéos tutoriels, sur le logiciel d’animation Blender, pour apprendre l'animation 2D. J’ai exploré l’ergonomie du logiciel, le rigging, les contrôleurs, les artifices pour donner un effet 3D au 2D et les différents outils disponibles, tout en expérimentant en direct.
Petit souci : je ne travaille pas en Grease Pencil (dessin) mais avec des illustrations SVG faites sur Inkscape, ce qui a nécessité quelques ajustements. J’ai aussi dû inventer des techniques et bricoler, car les tutoriels étaient parfois confus ou trop complexes pour un débutant comme moi. C'était intense. Ma rigidité cognitive rendait l’apprentissage difficile, mais une fois les bases acquises, tout est devenu plus simple grâce à une structuration précise de mes actions.
Structurer le projet : un vrai kiff !
La deuxième semaine, j’ai créé un document de projet. J’ai adoré structurer, organiser, lister les idées de vidéos, de thématiques, de playlists. En parallèle, j’ai commencé à écrire mon premier script : Pourquoi j’ai créé Autighost ?
L’écriture n’a pas été de tout repos. Mon cerveau a tendance à vouloir tout détailler, alors que je visais des vidéos accessibles et simples. J’ai dû apprendre à synthétiser, à couper du contenu même si cela m’angoissait à l’idée de ne pas pouvoir tout dire, tout en restant clair. Un véritable combat cognitif.
Enregistrement audio : une montagne à gravir
En parallèle, j’ai enregistré la voix off avec mon micro Rode NT-USB Mini. Les débuts ont été compliqués : problèmes techniques, difficultés de prononciation, anxiété intense.
Pour y arriver, j’ai découpé les scripts en petits segments (10-25 secondes), multiplié les prises et travaillé ma voix pour obtenir un rendu correct. C’était loin d’être une partie de plaisir, et même après 4 mois et 10 scripts enregistrés, ce n’est toujours pas évident.
Illustration et animation : enfin du concret !
J'ai ensuite conçu le design d’Autighost sur Inkscape : un personnage simple mais attachant, aux couleurs complémentaires. L’illustration a toujours été ma passion, malgré mes difficultés en visualistion d’images mentales (absence d'images mentales) qui m’oblige à créer par essais et ajustements. Enfin… ce n’est pas tout à fait vrai que je ne fais pas d’images mentales. Je perçois des lignes, des formes assez floues et mouvantes, ainsi que des couleurs, mais je suis incapable de me représenter un objet, des sensations sensoriels ou d’imaginer précisément une couleur. C’est comme si je ne décidais pas de ce qui m’apparaît en image mentale.
Mon manque de compréhension de l’implicite et de l’imaginaire me pousse aussi vers un style d’illustration tangible, explicite, premier degré. Heureusement, j’ai développé une technique graphique bien à moi, inspirée des arts visuels, pour m’aider… mais chut, c’est mon secret !
J’ai ensuite décliné Autighost en d'autres personnages : formes rondes pour les neuroatypiques, carrées pour les neurotypiques. J’ai aussi créé tous les éléments et arrière-plans nécessaires. Après des heures de travail, j’avais enfin tout mon matériel. Il ne me restait plus qu'à réécrire mon script en intégrant animations, illustrations, montage et transitions.
50 heures pour 10 minutes de vidéo : l’animation, un vrai marathon
La quatrième semaine, je me suis plongé dans l'animation. Une seconde correspond à 24 images par défaut sur Blender. L'animation, c’est comme sculpter le temps image par image. Chaque image, chaque mouvement, se construit avec précision pour donner vie à l’ensemble. En une minute, ce sont des dizaines d'images qui se fondent pour créer une illusion de fluidité. C’est un processus minutieux, mais c’est aussi ce qui rend chaque animation fascinante.
Pour la synchronisation labiale, j'ai utilisé un add-on de lipsync à paramétrer, associant les enregistrements audio aux dix formes de bouche d'Autighost selon les sonorités des mots.
J’ai adoré la précision et le détail qu’exige l’animation, mais chaque bug ou difficulté était un défi. Il m’a fallu une cinquantaine d’heures pour créer à peine 10 minutes de vidéo. Un travail titanesque, mais chaque séquence exportée était une victoire.
Montage vidéo : retour en enfance
Fin novembre, je me suis attaqué au montage vidéo avec DaVinci Resolve. Mon unique expérience en montage remontait à un AMV de Dragon Ball Z fait à 13 ans sur un appareil avec contrôleur analogique de montage pour cassettes VHS que mes parents m’avaient loué à la médiathèque. À cela s'ajoutent quelques montages vidéo simples avec les outils Windows pour des projets d’école. Ah non, j’oubliais Mon atelier de cinéma en 3D - Abandonware France, un jeu de création de films sorti en 1995 sur Windows, sur lequel j’ai passé des heures étant enfant, sur notre bon vieux PC familial qui ramait.
Bref, du vrai montage vidéo sur logiciel, je n’y connaissais rien. Mais, apprendre le montage et l’animation m’a fasciné : précision, détails… tout ce que j’aime. Mais jongler entre les outils, fenêtres et matériels demandait une flexibilité qui n’est pas mon fort. Avec persévérance, un opening et un outro créés sur Blender et Canva plus tard, début décembre, ma première vidéo était enfin prête.
Vers un projet global : bien plus qu’une chaîne YouTube
Faire une vidéo, c’est bien. Créer un projet global de sensibilisation à l’autisme, c’est un autre niveau de complexité. Branding, diffusion, promotion, structuration du projet, organisation des fichiers… Mon cerveau a chauffé.
J'ai testé des outils de planification : tableau de Gantt, calendriers… tout y est passé. Mais la surcharge cognitive était trop forte. Alors, j’ai adopté ma méthode : avancer de manière désorganisée, enclencher le mode hyper-focalisation, faire des erreurs… mais essayer de faire. Fin décembre, deux nouvelles vidéos étaient en finalisation, la charte graphique de mon projet était bouclée et j’étais fier de mon avancée.
Création du site web : un apprentissage express
En janvier, j’ai mis en pause les vidéos pour créer un site internet avec blog, portfolio et boutique en ligne. Je partais de zéro. Et quand je dis zéro, c’est vraiment aucune connaissance dans ce domaine. Entre design graphique, structure du site, conformité légale, sécurité, boutique en ligne (qualité des produits, transparence, calcul des prix, TVA), accessibilité, paramétrage… J’ai découvert toute la complexité d’un site web.
C’était un apprentissage intense. Encore une fois, j’ai dû faire preuve de flexibilité cognitive, trouver mes propres méthodes pour avancer malgré mes difficultés.
Je n’en ai pas parlé avant, mais je travaille uniquement dans mon bureau. C’est l’endroit où je passe le plus de temps, mon espace safe, où je me sens confortable et en sécurité. Store baissé, lumière éteinte, porte et fenêtre fermées, je peux me concentrer et être productif. Même si les bruits de la route à quelques centaines de mètres et ceux de mes voisins du bâtiment d’à côté me dérangent en permanence… mais je ne leur en veux pas.
Les doutes : quand la pression nous envahit
Malgré tout, j’avance. Mon site prend forme, son contenu aussi. Je prends plaisir à écrire mon article sur l’autisme, à fouiller les bases de données de recherche pour étayer mon propos… mais j’ai peur.
Tout s’est accéléré en trois mois. Fin janvier, tout est prêt : j’ai quelques vidéos en stock, un site presque fonctionnel. Mais je doute.
Est-ce que mes contenus sont d’une qualité suffisante ? Est-ce que je ne dis pas trop de bêtises ? Suis-je légitime pour un tel projet ? Mon projet tient-il la route ? Comment vais-je gérer ma chaîne, mon site, ma boutique en même temps ? Comment vais-je affronter l’inconnu une fois que tout sera lancé ? Bref, je me sens submergé… et j’hésite à tout arrêter.
Heureusement, ma mère, mon père et ma femme me soutiennent. Ils m’encouragent, valorisent tout le temps et l’énergie que j’ai investis dans ce projet.
Mi-février, je suis prêt. Mais le doute persiste, surtout sur la communication autour de mon projet. Je ne sais pas faire. Contacter des gens, parler de mon projet, avoir l’impression de déranger… c’est un enfer. Envoyer un simple message pour dire "Coucou, j’ai un projet à te montrer" ? C’est une montagne d’anxiété et de stress.
Si la personne répond, je vais devoir discuter, trouver les mots justes, éviter de mal comprendre… c’est un cauchemar. Heureusement, encore une fois, ma femme est là. Elle relit mes messages, me donne son avis, m’oriente.
Et voilà. Nous sommes le 22 février, tout est en ligne. Et, j’espère toucher quelques personnes avec ma démarche.
Conclusion : être autiste et réussir
En conclusion, oui, ce projet a été – et sera encore – rempli de difficultés, de doutes, d’échecs… mais il est ma réussite.
Faire des choses, parfois simples, parfois complexes, est difficile. Encore plus en tant qu’autiste. Se lancer dans un projet peut sembler inaccessible, semé d’embûches, rempli d’obstacles qui paraissent insurmontables. Mais il est essentiel d’expérimenter, de se donner une chance. C’est la seule manière de découvrir nos véritables limites.
Et ce constat ne s’applique pas qu’à moi.
Je pense aussi à mes pairs, y compris ceux avec une déficience intellectuelle. Trop souvent, leur entourage les limite. Peut-être par protection… sûrement, même. Mais parfois aussi parce qu’on les pense incapables, restreints par des barrières imaginaires. On enferme les autistes dans des préjugés négatifs et discriminants, nous empêchant d’exprimer notre plein potentiel.
Alors laissez-nous des opportunités.
Laissez-nous vous prouver nos capacités.
Laissez-nous vous offrir l’expérience de nos réussites, même les plus simples, celles que vous n’auriez jamais imaginées.
Donnez-nous les moyens et les opportunités de faire des erreurs, de tomber, de nous relever, de vivre des échecs, de réussir, de vous faire mentir…
Laissez-nous simplement exister, comme vous.
À bientôt, mes chers fantômes !

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