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La Sensorialité et Autisme : Explorer nos Sens au Quotidien

Introduction


Vous avez sûrement déjà entendu parler des cinq sens : la vue, l’ouïe, le toucher, le goût et l’odorat. Mais saviez-vous que dans l'autisme, ces sens peuvent être vécus très différemment ?

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Dans cet article, je vous propose une première approche simple et accessible d’un aspect fondamental — et pourtant souvent méconnu — de l’autisme : la sensorialité. Nous verrons ensemble comment les perceptions peuvent varier, quels défis cela représente au quotidien, mais aussi quelles stratégies peuvent aider à avancer dans un monde qui, parfois, ressemble à un véritable parcours du combattant.


Vous avez dit 5 sens ?


Quand on parle de nos sens, on pense souvent aux cinq grands classiques : la vue, l’ouïe, le goût, l’odorat et le toucher. Mais en réalité, notre perception du monde repose sur bien plus que ça !


La sensorialité, c’est l’ensemble de nos systèmes sensoriels — ces canaux qui nous permettent de percevoir, analyser et réagir à tout ce qui se passe autour de nous, mais aussi à l’intérieur de nous. Eh oui, certains sens traitent ce qu’on reçoit de l’environnement extérieur (comme les sons, la lumière ou les textures), tandis que d’autres nous informent sur ce qu’il se passe à l’intérieur de notre corps (comme la faim, la douleur ou la position de nos membres).


Avant d’aller plus loin, voici une définition simple du processus sensoriel :


Tous nos sens ont une fonction commune : recevoir un stimulus (comme un son, une lumière ou un mouvement), le convertir en information, puis l’envoyer au cerveau qui va l’interpréter pour nous permettre de percevoir, comprendre et agir.


Une pizza… pleine de sensations


Prenons une scène de mon quotidien : je veux manger une pizza. Derrière cette situation tout simple, une multitude de sens s’activent, parfois en même temps :


Vue : Je vois la pizza dans le four, ses couleurs dorées, le fromage qui gratine.


Ouïe : J’entends la croûte craquer sous le couteau.


Odorat : Je sens l'odeur de la mozzarella fondue… et cette petite odeur de brûlé (oui, j’ai un peu tardé).


Goût : Dans ma bouche, je perçois les arômes du fromage, du jambon et des autres ingrédients, mais aussi le goût amer des bords trop cuits.


Toucher : Je sens la texture de la croûte sous mes doigts.


Thermoception : Je perçois la chaleur dégagée par la pizza ou par le four quand je l'ouvre.


Mécanoréception : Je ressens les vibrations en coupant la pizza.


Proprioception : Mon corps s’ajuste pendant que je tends le bras pour servir ma part.


Vestibulaire (équilibre) : Je me penche, je me redresse, je reste stable lorsque je mange.


Intéroception : Mon corps m’envoie des signaux : est-ce que j’ai encore faim ? Est-ce que la chaleur me gêne ?


Nociception : Aïe, je me brûle le palais ! Mon cerveau réagit à la douleur.


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Tous ces sens interagissent en permanence. On ne s’en rend pas toujours compte, mais c’est un véritable travail d’équipe sensoriel.


Si l’interprétation des signaux sensoriels est généralement stable d’une personne à l’autre, ce n’est pas le cas pour les autistes. Chez nous, cette perception peut être très différente : parfois amplifiée, diminuée ou même inexistante, selon les moments, les situations… ou les systèmes sensoriels concernés.


Autisme et perception sensorielle


Les autistes ont souvent un traitement sensoriel particulier. On distingue généralement deux grandes tendances :


  • Hyperréactivité : les stimuli sont ressentis de manière amplifiée, parfois jusqu’à l’inconfort ou la douleur.

  • Hyporéactivité : certains stimuli sont peu perçus, voire pas du tout détectés.


Mais la sensorialité ne se résume pas à être “trop sensible” ou “pas assez”. C’est bien plus complexe, subtil et variable.


Est-ce que cela vous est déjà arrivé qu’une personne vous dise :“Oh, tu as vu le logo sur le pull de cette personne ?”…Et que vous ne l’ayez ni remarqué, ni mémorisé, alors même qu’elle se tenait juste devant vous ?


C’est tout à fait normal. Le cerveau humain ne peut pas traiter consciemment tous les stimuli de l’environnement. Et c’est tant mieux : sinon, nous serions tous en permanence submergés d’informations, incapables de nous concentrer ou d’agir.


Nos organes sensoriels (yeux, oreilles, peau, etc.) captent en continu une multitude de signaux. Mais une grande partie de ces informations est filtrée :


- soit dès leur réception par les récepteurs sensoriels eux-mêmes,

- soit ensuite par le cerveau, qui trie ce qui lui semble pertinent à un instant donné.


De façon simplifiée, on peut dire qu’il y a deux étapes :


  1. La réception du stimulus par nos appareils sensoriels.

  2. Le traitement de l’information par notre cerveau.


Et à chacune de ces étapes, un filtrage peut se produire soit parce que le stimulus n’a pas été capté, soit parce que le cerveau l’a jugé non prioritaire et ne l’a pas traité. Il faut donc comprendre cette particularité dans l'autisme comme une variation de ce que tout le monde peut vivre : une différence dans la réception et/ou le traitement des stimuli sensoriels.


Mon exemple personnel avec la vue :


Ce n’est pas seulement une question de lumière trop vive qui m’agresse. Je peux aussi être stimulé par les objets présents dans une pièce, une irrégularité dans un motif, des reflets sur un objet métallique, ou encore des vibrations subtiles dans une image animée. Mes yeux et tout le système sensoriel associé captent plus de détails que chez d’autres, et surtout, mon cerveau ne filtre pas : il décide de traiter toutes ces informations. Alors que pour d'autres, ce reflet, cette irrégularité ou cet objet passeront inaperçus, pour moi, ils existent pleinement dans mon champ de perception, en permanence.


Un autre exemple, cette fois au niveau auditif :


Dans un restaurant, les voix, les bruits de fond, ceux de la cuisine ou de la rue… tout me parvient à la même intensité. Pour d'autres, ces sons existent aussi, mais leur cerveau les filtre : il “baisse le volume” des sons parasites et garde en priorité la voix de la personne en face. Parfois même, vous avez l’impression que les autres sons disparaissent. Mais pour moi, ils sont tous là, tout le temps. Pendant tout le repas, j’entends tout avec la même intensité. Cela me demande un effort énorme pour réussir à me concentrer sur la voix de ma femme, par exemple. Et surtout, ça me vide de mon énergie. Une simple sortie peut parfois me demander des efforts démesurés, difficiles à expliquer à ceux qui ne les ressentent pas.


À l’inverse, mes sens du goût et de l’odorat sont très peu développés. Je ne perçois souvent pas les odeurs que ma femme remarque immédiatement. Et je mange très rapidement, avec des aliments en grande quantité, pour essayer de détecter les goûts.


La sensorialité est un domaine complexe. Chaque personne a un profil sensoriel unique, qui peut varier :


  • selon les sens concernés,

  • selon l’intensité des stimuli,

  • selon le contexte, les émotions, la fatigue…


La sensorialité autistique, ce n’est pas un interrupteur entre “trop” ou “pas assez”. C’est une manière différente de vivre et ressentir le monde : mouvante, façonnée par une multitude de facteurs visibles et invisibles.


Ne pas ressentir ni expérimenter le monde lorsqu’on est hyporéactif peut être déstabilisant : on se sent comme déconnecté des expériences que les autres vivent. On a l’impression de rater quelque chose, de ne pas pouvoir partager l’expérience de l’autre.


Lorsque l’on est hyperréactif, notre manière de percevoir le monde peut parfois procurer un plaisir intense, de l’émerveillement, de la concentration…Mais à l’inverse, recevoir et traiter autant de stimuli, parfois à des intensités très élevées, peut devenir très envahissant. Cela peut alors mener à un état bien connu dans l’autisme : la surcharge sensorielle, que nous verrons dans le prochain chapitre.


La surcharge sensorielle


Pour expliquer simplement : notre cerveau est censé traiter en même temps les informations provenant de différents sens. C’est ce qu’on appelle l’intégration multisensorielle. Elle permet de percevoir notre environnement comme un tout cohérent, une sorte d’image dans laquelle toutes les données sensorielles se rassemblent.


Mais dans l’autisme, le traitement des informations sensorielles – qu’il s’agisse de chaque sens séparément ou de leur combinaison – fonctionne différemment, et peut poser des défis que la plupart des gens ne rencontrent pas.


Comme nous l’avons vu, nous percevons les stimuli à des intensités différentes, et nous pouvons en capter beaucoup plus, ou parfois beaucoup moins, que la moyenne. Cette différence change complètement la “lecture” que nous avons d’une situation. Le monde qui nous entoure peut alors nous sembler légèrement décalé… voire totalement différent de celui que perçoivent les autres.


Et lorsque ces stimuli sont perçus à des intensités très élevées, cela peut entraîner des réactions plus fréquentes, ou plus fortes.


Imaginez un instant ce que cela donne au quotidien : être en permanence stimulé, dérangé, accaparé par l’environnement, et devoir sans cesse fournir des efforts pour traverser cette tempête sensorielle. Nous n’y parvenons pas toujours… et très rarement sans conséquences. Cela peut aller jusqu’à une surcharge sensorielle. Mais même dans les cas plus “légers”, cela cause fatigue et épuisement.


Prenons un exemple concret :


Une simple tâche comme faire la vaisselle peut devenir une épreuve. L’eau chaude, l’éponge rugueuse, le métal froid, les reflets de lumière, les bruits de la rue ou d’un chantier…Pris séparément, ces éléments semblent anodins. Mais combinés, ils deviennent envahissants, presque agressifs.


Cette accumulation peut donc mener à ce qu’on appelle une surcharge sensorielle. Elle peut provoquer :


  • des meltdowns : des crises émotionnelles intenses, parfois explosives, dirigées vers l’extérieur.

  • des shutdowns : un repli soudain, un blocage, une sorte de déconnexion tournée vers l’intérieur.


Ces réactions sont souvent incomprises, mal interprétées ou jugées par ceux qui nous entourent. Mais elles sont la conséquence directe de tout ce que nous avons dû encaisser dans les heures, voire les jours qui précèdent. Car oui, vivre le monde avec autant d’intensité, se sentir déconnecté, incompris, ou moqué lorsqu’on tente de s’expliquer… c’est une véritable souffrance. Et c’est une souffrance que nous taisons trop souvent.


Sachez aussi que ces réactions nous font mal, non seulement sur le moment, mais aussi après. Parce qu’elles sont mal comprises ou perçues négativement, elles laissent derrière elles un mélange de fatigue, de culpabilité… et un profond sentiment d’injustice.


Ces réactions ne sont ni des caprices, ni des choix conscients : ce sont des réponses involontaires à un environnement perçu comme trop stimulant, trop envahissant, trop… tout.


Et c’est précisément pour cette raison qu’il est si important de comprendre ce qui se joue dans nos particularités sensorielles. Parce que mieux les connaître, mieux les reconnaître, c’est aussi nous permettre – un peu – de vivre le monde plus sereinement.


Mieux vivre avec sa sensorialité


Pour vivre un peu mieux avec nos particularités sensorielles, il y a une première étape essentielle : apprendre à mieux se connaître. Cela peut sembler évident, mais ce n’est pas si simple. Car dans un monde qui nous pousse souvent à ignorer nos ressentis, nos besoins et nos limites, il faut parfois réapprendre à s’écouter.


Un outil utile pour cela est le journal sensoriel. Il peut nous aider à observer, à noter les expériences agréables et désagréables, et à en tirer des apprentissages. On peut y préciser :


  • le type de stimulus (lumière, bruit, texture…),

  • son intensité,

  • le contexte,

  • les émotions ou sensations associées.


Par exemple, j’ai remarqué que certains environnements comme les bars ou restaurants m’épuisent très vite. J’ai aussi découvert que je supporte bien mieux les lumières tamisées que les lumières bleues ou jaunes trop agressives. Certaines me donnent littéralement l’impression que des lames traversent mes yeux.


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C’est grâce à ce type d’observations que j’ai pu commencer à mettre en place des stratégies concrètes pour mieux vivre avec ma sensorialité.


Bien sur, il n’existe pas de solution universelle, car chaque personne a des besoins différents. Mais voici quelques outils qui, pour moi ou pour d’autres, peuvent vraiment faire la différence :


  • Casques anti-bruit ou bouchons d’oreilles

  • Lunettes teintées ou filtres visuels pour adoucir la lumière

  • Vêtements adaptés, choisis selon le confort tactile

  • Objets d’autorégulation : balles, fidgets, chewing-gum…

  • Espaces calmes personnalisés à la maison, où se replier en cas de besoin


Mais surtout, il faut apprendre à s’écouter. Dire stop, sortir d’un endroit, faire une pause… c’est vital.

Et ce n’est pas toujours facile, surtout quand on a du mal à exprimer ce qu’on ressent - ce qui est souvent mon cas. Mais prendre soin de soi, ce n’est pas un luxe, ni une faiblesse. C’est une nécessité.


Conclusion


La sensorialité, dans toute sa richesse et sa complexité, façonne profondément notre manière d’être au monde. Quand on est autiste, elle peut être source de beauté… mais aussi de douleur. Et vivre avec une sensorialité différente, ce n’est pas juste « faire avec ». C’est constamment composer, s’adapter, contourner, se protéger. C’est apprendre à se connaître, à s’écouter, et parfois à reconstruire sa vie autour de ce que d’autres ne perçoivent même pas.


Mais ce travail, aussi personnel soit-il, ne devrait pas reposer uniquement sur nos épaules. Car si chacun a la responsabilité de prendre soin de soi, la société a, elle aussi, celle de rendre le monde plus accueillant.


Cela commence par des gestes simples :


  • ne pas juger ce qu’on ne comprend pas,

  • respecter les besoins sensoriels des autres, même s’ils sont invisibles,

  • proposer des espaces plus calmes, des lumières douces, des environnements moins envahissants,

  • valoriser la diversité plutôt que de vouloir à tout prix la faire taire.


Ce n’est pas aux personnes sensibles de devenir insensibles. C’est à notre monde de devenir plus humain.


Parce qu’une société vraiment inclusive, c’est une société qui ne demande pas aux individus de se fondre dans un moule…Mais qui s’ajuste, s’ouvre et s’adapte aux réalités de chacun.


J’espère que cet article vous aura appris des choses ou ouvert de nouvelles pistes de réflexion. N’hésitez pas à aller voir ma vidéo dédiée à la sensorialité dans l’autisme, sur Youtube : cet article en est le complément.


À très bientôt, mes chers fantômes. 👻💜


Bibliographie

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